2022
Installation et édition.
Projection vidéo : 64 textes écrits par Lucas Lejeune, affichés caractère par caractère.
Livre : Recueil de 64 textes écrits par GPT-NeoX 20B, à partir des textes précédents.
Qui a écrit ce livre ? La question peut sembler simple, et pourtant, elle se pose. En effet, avant même d’avoir pu apprendre à générer des images à partir de texte, les intelligences artificielles ont d’abord appris à décrire des images, et pour cela, elles ont d’abord du apprendre à parler.
GPT-NeoX 20B est un modèle de langage qui n’est plus mis à jour actuellement, l’industrie s’étant concentrée sur son successeur GPT3.
Mais ils ne sont pas les seuls, et plusieurs dizaines de ces modèles de langages sont aujourd’hui accessibles à tout un chacun. GPT-NeoX 20B a été choisi pour sa propension à prendre des raccourcis, des détours, à s’égarer, plutôt que pour son exactitude mécanique et sa pertinence, bien qu’il en soit également capable dans les bonnes conditions.
L’usage du français aura peut-être renforcé cette propension à l’erreur et à l’inattendu. GPT-NeoX 20B aura en tout cas été sélectionné comme assistant privilégié dans l’écriture de ce livre, et il est même possible d’argumenter qu’il en soit bel et bien l’unique auteur. Encore faudrait-il pour cela lui attribuer le statut de personne, une étape que nous ne sommes pas collectivement en mesure de franchir. Pour l’instant ?
Comme tout algorithme génératif, GPT-NeoX 20B ne travaille pas à partir de rien. Il a besoin d’une matière première et, en l’occurrence ici, d’un texte à compléter.
L’input ou texte «source» qui lui a été fourni comme base d’inspiration, est une série de 64 courts textes ne comprenant que des mots de quatre lettres ou moins, écrits chacun au clavier en trois minutes chronomètre sans possibilité d’interruption.
Tous les mots de cinq lettres et plus contenus dans ce livre sont donc choisis par la machine dans sa base de donnée pour leur parenté statistique avec ceux, plus courts, présents dans les 64 textes fournis.
Les 64 textes «source», qui sont difficilement lisibles ici, sont de courtes fictions décousues, oscillant entre l’enfance puis la vie quotidienne d’un être humain du paléolithique voué à voir le futur dans des cavernes ornée, et les délires intérieurs d’un être humain post-apocalyptique qui, seul et coincé dans sa cave, en est réduit à s’immerger dans l’univers préhistorique virtuel que lui fournit son éditeur de texte informatique.
Chacun de ces 64 textes «source» a donc servi d’unique input à la génération automatique de l’un des 64 textes imprimés ici, réorganisés ensuite à la main et dégrossis afin que la quantité totale de texte entre le volume fourni et le volume généré soit équivalente, au caractère près. Autrement, rien n’a été ajouté ou modifié.
Les 64 textes sources sont présentés sous forme de vidéo projetée face à la table sur laquelle se trouve l’ouvrage imprimé en série limitée et numérotée en 12 exemplaires.
La séquence dure 3 minutes, et fait défiler les 64 textes à la vitesse où ils ont été écrits. Si l’on considère la grille de caractère comme un échiquier, il faut considérer qu’il y a un texte par case, qui défile lettre par lettre. Afin de lire l’un de ces textes au choix, il faudra donc se concentrer sur une lettre à la fois, et reconstituer mentalement les mots à mesure qu’ils s’écrivent. Il sera ainsi possible de vérifier qu’aucun mot de plus de quatre caractères n’a été employé, et la consigne donc bel et bien respectée à la lettre.
Bien entendu, c’est le texte imprimé qui est véritablement donné à lire, sous la forme du dispositif classique destiné à la lecture humaine. Cette grille de caractères dont l’apparence de vitesse n’est due qu’à la simultanéité des textes apparait davantage comme une matrice symbolique, un flux de données nourrissant une machine ivre de mots.
Un algorithme programmé pour cela n’aurait aucun mal à déchiffrer l’ensemble des 64 textes et à les inclure dans sa base de données, au cours d’une seule lecture. Un lecteur humain qui souhaiterait lire l’ensemble de ces 64 textes source l’un après l’autre y passerait trois heures. Mieux vaut alors se rabattre sur le petit livre proposé, sans se soucier de la légitimité de son auteur dénué d’organes et de sentiments.