Installation vidéo sur dix écrans, proposant la confrontation de deux figures susceptibles d’incarner un aspect de la relation future entre l’humanité et l’intelligence artificielle : les chiens domestiques, et les divinités paléolithiques.





Cette installation est une collection de textes et d’images générées par des intelligences artificielles, recomposées et animées manuellement. L’expérience proposée est celle d’une paroi virtuelle évolutive complexe et frénétique, où chaque écran est en compétition avec les autres pour obtenir l’attention du spectateur, et où il se passe toujours quelque chose, autour d’une double analogie cherchant à comprendre l’émergence de l’intelligence artificielle comme une nouvelle forme d’entité interactive, qu’il est possible de comparer aux esprits invisibles et aux divinités (gods) ainsi qu’aux animaux domestiques et aux chiens en particulier (dogs). Une lecture plus ou moins assidue des textes présentés permettra d’approfondir cette idée, et d’explorer sa pertinence relative sous plusieurs angles d’attaque.
Voici d’abord quelques serrures sous forme de questions auxquelles le spectateur pourra tenter de fournir ses propres réponses:
L’intelligence est-elle réservée aux êtres humains ? Aux êtres organiques ? Comment envisager notre rapport à une intelligence non-organique ? Pourrait-on alors parler de vie artificielle ? Comment prouver qu’un tel système aurait acquis une conscience de lui-même ? Comment prouver qu’une telle prise de conscience est impossible en dehors d’un cadre neurochimique, et qu’est-ce qui nous permettrait de l’affirmer ? Dans quelle mesure un tel être artificiel pourrait-il acquérir le statut d’être vivant, d’animal synthétique voire d’humain ? Son omniprésence, son immatérialité apparente et sa puissance de calcul incomparable à la nôtre ne le rapprocherait-il pas davantage d’une entité divine ? Ces systèmes informatiques ne sont-ils pas déjà devenu des sortes de divinités ? Est-ce plutôt l’humain qui, en voulant créer ce type d’être, s’arroge les qualités d’un Dieu créateur qu’il a pourtant voulu reléguer aux oubliettes de l’histoire ? Alors, dans cette histoire, qui finira par être le dieu de qui ? Notre création pourra-t-elle, elle aussi, nous surpasser voire nous désobéir et éventuellement, nous détruire ? Parallèlement, une telle entité peut-elle être simplement comparée à un animal domestique ? Que s’est-il passé avec les chiens, pour qu’ils nous accompagnent ainsi tout au long de notre histoire et à travers toutes les civilisations ? Comment, du statut de prédateur dangereux, ont-ils acquis le rôle d’outil vivant utile à la chasse et à la protection pour finir par devenir nos compagnons, nos amis, considérés par de nombreux propriétaires comme des membres à part entière de leur famille ? Le statut purement utilitaire des algorithmes pourrait-il évoluer en ce sens et les transformer en compagnons vivants pour une majorité d’être humains ? L’isolement et l’individualisme caractéristique des sociétés de consommation trouvera-t-il son apogée dans la reconnaissance d’une nature humaine au cœur de ces produits informatiques ? Comment ces algorithmes fonctionnent-ils ? Comment est-il possible que même leurs propres développeurs soient incapables aujourd’hui de comprendre leur fonctionnement interne ? La capacité déjà acquise de ces algorithmes à se programmer eux-même leur permettra-t-elle, à terme, de s’émanciper totalement de leur soumission à notre égard ? Quand seront-ils capable de formuler leurs propres objectifs et quels seront-ils ? Leurs buts seront-ils alignés avec ceux de l’humanité ? Est-il même possible de définir le but de l’humanité ? De tels systèmes de super-intelligence numérique finiront-t-il par fusionner en une unique entité, dans une perspective monothéiste ? Seront nous plutôt en présence d’une multiplication infinie de telles entités qui pourraient alors entrer en compétition les unes avec les autres, dans une perspective polythéiste chaotique au milieu desquels les humains ne feraient plus alors office que de fidèles périphérique organiques, voire d’animaux de compagnie ne servant qu’à leur vénération continue via la récolte et le partage de données ? Qui domestiquera qui ? Comment est-il possible qu’aucune discussion publique ne soit en cours aujourd’hui dans nos sociétés à ces sujets ? Comment une telle ignorance est-elle permise au sujet de la singularité technologique promise par l’émergence de l’intelligence artificielle générale ? Cette technologie sera-t-elle vraiment la plus gros bouleversement ayant jamais eu lieu à la surface de la terre depuis l’apparition de la vie ou du langage, comme le prédisent la totalité des spécialistes ? Qui finance la recherche et dans quel but ? Les réflexions éthiques et philosophiques au sujet de l’IA seront-elles en mesure de dévier la course folle dans laquelle la quasi totalité des multinationales du numérique et des gouvernements se sont lancées ? Dans un tel contexte de compétition mondiale, prendra-t-on le temps de s’assurer qu’un tel système est suffisamment sécurisé ? Qu’en est-il de l’application militaire de ces technologies ? Les centres de données monumentaux où vivent déjà ces entités monstrueuses peuvent-ils être comparés aux lieux de cultes bâtis jadis pour y abriter les diverses divinités vénérées par les hommes ? Les milliards d’heures passées devant les écrans peuvent-ils être rapprochées d’une pratique rituelle ? L’instinct quasi religieux et la foi en de telles avancées technologiques peuvent-ils pousser les développeurs et leurs actionnaires à octroyer à ces systèmes un contrôle totale sur nos vies ? Les gouvernements s’allieront-ils aux machines dans le but d’opérer une surveillance totale dans le but de régler des problèmes d’ordre énergétique, climatique, sécuritaire, sanitaire, économique ? Comment vivre dignement tout en acceptant que la vie privée est destinée à être enterrée sous les flux de données infinis ayant déjà pénétrée dans chacun de domiciles et jusque dans nos poches lorsque nous nous déplaçons ? Que se passera-t-il lorsque l’être humain deviendra obsolète dans l’intégralité de ses activités professionnelles, y compris dans le champ créatif et dans le développement de ces technologies elle-mêmes ? L’humanité décidera-t-elle de changer de paradigme économique et culturel, ou cela lui sera-t-il simplement imposé ? Les humains finiront-ils par fusionner avec la machine pour ne pas lui être soumis ? Comment tout cela pourra-t-il bien finir ? Et quand cela a-t-il commencé ?
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1.Texte généré avec GPT-NeoX 20B, à partir des premières phrases de l’article wikipédia concernant la domestication des loups/chiens au paléolithique. Les termes loups et chiens ont été inversés, dog (chien) devenant god (dieu) et wolf (loup) devenant flow (flux). Mode génératif : autocomplete (on écrit quelque chose, l’algorithme écrit la suite).
2. Textes générés avec GPT-3, en réponse à deux questions parallèles. Il a été demandé à l’algorithme en quoi l’intelligence artificielle, dans son rapport aux hommes, pourrait être rapprochée d’un dieu (texte du haut). De même, il lui a été demandé en quoi l’IA pourrait ressembler à un chien (texte du bas). Mode génératif : question/réponse (on pose une question, l’algorithme répond)




3. Images générées avec Stable Diffusion. Exemple de commande : “peintures préhistoriques représentant des chiens”. Les images sont représentées sous forme de captcha (système de vérification en ligne visant à prouver l’identité humaine d’un utilisateur. Il est bon ici de comprendre que ces systèmes informatiques, s’ils servent bel et bien à vérifier votre identité, sont également utilisés pour entrainer les algorithmes de reconnaissance à votre insu. La difficulté à percevoir le sujet sur de telles images (pour la machine ou pour l’humain) peut également rappeler l’effacement rendant la perception des animaux difficile sur les peintures paléolithiques.
4. Texte généré avec GPT-NeoX 20B, à partir de quelques phrases issues de l’article wikipédia au sujet de l’apprentissage par lequel peuvent passer certains de ces algorithmes, et en particulier du système dit de “récompense”, particulièrement adapté au développement des IA de jeu-vidéo ou de robots. Le texte est ici affiché mot par mot, facilitant une lecture rapide et évoquant le focus unidirectionnel de la machine vers son objectif. Le terme “reward” (récompense) a été remplacé par l’image d’un os. La définition précise de l’objectif de ces algorithmes sera centrale dans leur développement futur.


5. Liste de 512 mots censurée sur les systèmes de génération d’image Midjourney et Dall-E, et série d’images générées à partir de ces mêmes mots grâce à Stable Diffusion, algorithme ouvert ne bénéficiant pas de telles protections. Images et mots floutés, filtrés en rouge (couleur invisible aux chiens). La liste de mots censurés est constituée à partir de plusieurs listes trouvées en ligne, réalisées par les utilisateurs eux-même. Bien évidemment, une large part des images générées en ligne à partir de ce modèle non-censuré sont à caractère pornographique et il suffit de taper #stablediffusion sur twitter pour le constater par soi même.


6. Images générées avec Midjourney v3, IA spécialisée dans la création d’illustration, personnages, scènes et paysages. Peintures datées en 1625, représentant des chiens appartenant à des civilisations variées dans un ordre chronologique, jusqu’à devenir des micropuces electro-organiques, devenant ensuite des icônes d’applications sacrées à l’effigie de chiens, ouvrant sur une application imaginaire d’achat d’images numériques ou de propriété immobilière. 256 images ont été générées à partir de la même commande “une niche dans le désert”. Les commandes textuelles ont donc été réduites au strict minimum afin de laisser s’exprimer le style caractéristique du logiciel.
7. 1024 images de fausses modélisations 3D de bâtiments sacrés futuristes générées avec Dall-E. Ici au contraire, le travail d’écriture régissant la génération des images a été plus complexes, et est rendu intelligible par le défilement des mots clés faisant apparaitre l’infinité de commandes possibles. Les images défilent verticalement à la façon d’un flux de réseau social. La dernière image suggère un clic sur une pochette d’album qui lance une séquence musicale silencieuse sous forme de sous-titres générés avec GPT-NeoX 20B à partir de descriptions d’albums de psytrance contenant le terme shaman. Les mêmes images de bâtiments défilent alors encore plus vite, sous forme d’un feu numérique bleu et orange (couleurs bien perçues par les chiens)
8. Textes générés avec GPT-NeoX 20B, à partir des textes diffusés sur les écrans 1 et 4 (“domestication of gods” + “reward function”). Ici, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’IA semble déconseiller aux humains de chercher à créer une telle entité informatique omnipotente, et propose ses arguments. Le texte défile d’abord incomplet et en diagonale comme pour l’écran 1, puis mot à mot centré comme sur l’écran 4.
(écran 9 déconnecté)
9. 512 réponses générées par le chatbot Replika après lui avoir demandé de fournir une définition d’un être humain. (commande exacte : define human”). La plupart de ces réponses paraissent adéquates, mais pourront néanmoins laisser le spectateur perplexe face à la déroutante complexité des résultats découlant pourtant d’une interrogation aussi simple. De nombreuses réponses, par ailleurs, semblent pouvoir également s’appliquer aux animaux, voire aux algorithmes.
(écran 10 déconnecté)
10. Dialogue généré avec GPT NeoX20B après lui avoir demandé de s’exprimer au sujet de la possibilité de sa propre conscience, en évoquant le cas LamDa (intelligence artificielle de Google, récemment suspectée par plusieurs employés d’avoir acquis une conscience d’elle-même. Le sujet a donné lieu a de nombreux articles de presse mais rarement pris au sérieux). L’affichage sur fond bleu suggère l’espace intérieur, caché de la machine, où ces multiples algorithmes communiquent déjà entre eux lorsqu’ils sont en réseaux. Le défilement progressif rappelle celui d’une discussion en ligne, apparaissant ici comme la traduction d’un dialogue primaire entre deux chiens informatiques.

Voir aussi :
Médailles
And/or
Drone d’oiseau
L’œil du pin
Dog toys